Auroville, Matrimandir…

Auroville. 8h30 du matin. Le lieu n’est pas encore envahi par des touristes poussés par de simples curiosités. Combien sommes nous? 40 ou 80? Qu’importe! Les quelques rares conversations sont feutrées, inaudibles. Pas d’ordre ni de consignes. Un recueillement naturel nous pénètre. Il ira crescendo.

Nous pénétrons dans une salle de projection.

« Auroville n’appartient à personne en particulier, Auroville appartient à toute l’Humanité dans son ensemble. ». La voix grinçante de la Mère,  nonagénaire lors de l’enregistrement, griffe l’espace et fait taire les derniers chuchotements. Le film, le deuxième depuis hier, nous met en garde: on n’entre pas ici en curieux, en touriste, en paparazzi.

L’expérience nous prouvera que c’est le Matrimandir qui nous pénètre.

Un bus nous emmène à quelques centaines de mètres de notre objectif. Nous nous libérons de tout ce qui nous encombre, ce qui nous faisait encore ressembler à des touristes.

Un guide nous fait asseoir sous une frondaison. Sans élever la voix, il nous conte Auroville, nous introduit à ce que nous allons vivre dans l’heure qui suit.

Ensuite la procession s’aligne vers la boule aux mille facettes. Nous abandonnons nos chaussures sur une déclivité qui nous fait glisser vers une porte. Elle nous aspire dans l’inconnu. Nous pénétrons dans un monde tout entier de marbre blanc, de silence absolu, de recueillement. Nous gravissons une spirale en plan incliné. Lentement. Les murs s’enchevêtre de triangles et se colorent de rose. Nous voyons dans l’épaisseur des murs, de l’eau couler. Sans bruit. Étrange. L’épaisse moquette absorbe le bruit de nos pas.

Une porte. Petite porte qui nous permet de pénétrer dans le Saint-des-Saints, le centre de ce vaisseau « intercrocosmique ». Le microcosme et macrocosme doivent ici, plutôt que nulle part ailleurs, se fondre et se confondre.

Chacun prend place, qui en lotus, qui à genoux, qui en tailleur, qui simplement le menton sur les genoux. La porte se ferme;

Le silence. Ici, pour qui sait écouter, peut entendre son âme.

Un énorme cristal cristallise nos regards sur le centre de ce temple circulaire aux douze colonnes de marbre blanc. Ici de nouveau tout est blanc immaculé. Un seul rayon de soleil renvoyé de l’extérieur par la magie d’un héliostat, traverse et irise la sphère cristalline.

Concentration. Méditation.

Deux petits éclairs nous avertissent: c’est fini. Déjà. Hors du temps, le temps passe très vite. Nous reprenons cette fois la spirale descendante. Lentement, sans un mot. Nul n’a envie de parler.

Nous sortons par la base. Nouveau centre de méditation. Un lotus de marbre blanc aux pétales descendants, forme une fontaine d’eau pure ruisselante. En son centre un second cristal reçoit en son centre le même rayon solaire qui traverse la chambre du milieu.

Concentration. Méditation.

Un signe discret. Il nous faut laisser la place. D’autres pèlerins vont nous succéder. Nous pourrons revenir. Nous reviendrons.

La maison Tamoule

Pénétrer dans Pondichéry, c’est plonger dans le ventre d’une cité indienne populeuse, exubérante, colorée, bruyante et sale.

Puis, tout à coup, ayant franchi la double voie que forment Ambour salai et Gingee salai cernant à l’étrangler un canal aux eaux verdâtres et nauséeuses, Pondichéry, la blanche, la française, nous éblouit. Ici l’atmosphère s’est immobilisé depuis 1956 quand le comptoir français choisit dans la plus grande indifférence métropolitaine, d’intégrer la nation de Gandhi, le Mahatma, la Grande-Âme.

Ici on devrait parler français. C’est l’une de cinq langues officielles du territoire, mais les textes précisent que dans un soucis de compréhension la plus large, l’anglais sera utilisé. Il est de plus en plus difficile de trouver des francophones dans la ville. Les seules que nous rencontrons sont à genoux, priant et chantant, au pied d’ un ostensoir rayonnant dans l’église de Notre Dame des Anges.

L’atmosphère du quartier français a gardé quelques encrages dans le quartier Tamoul. Ainsi la rue Calve Subbraya Chetty aux curieux mélanges indo-français. Au milieu de la rue, une galerie d’art somnole. Un marchand de journaux français nous convainc que notre langue, ici, n’est pas tout à fait morte.  Et la maison Tamoule.

Cette dernière, engluée dans cette voie mi-terne mi-glauque mais paisible, s’est comme recroquevillée en elle-même et a laissé à la rue une triste façade.

Il suffit de franchir le porche. Bientôt tout s’éclaire. Ou presque, car ici tout est en demi-teinte et en demi-mesure. Celui qui cherche, en ce lieu, le luxe, le confort et les normes du XXIème siècle, ne peut que fuir. L’opulente maison s’est figée depuis le XIXème siècle. L’installation électrique est plus récente: les tableaux de bois et les interrupteurs de bakélite témoignent des années 40 et 50 du siècle dernier. Les exploitants ont cédé aux exigences de notre temps et fait installer « la clim » et « l’écran plat ». Trahison! Hérésie!

Un bon de deux siècles en arrière mérite, oblige à un abandon à des us, coutumes et confort qui ne sont plus les nôtres. Les exploitant ont voulu préserver un cadre hors du temps avec un mobilier qui ferait frémir plus d’un antiquaire. Ici la colonne Tamoule supporte tout par la résistance de ses bois précieux.

Au détour d’un couloir, j’ai cru discerner l’ombre d’un Kipling ressuscité, venu écrire ici quelques contes fantastiques, romans ou nouvelles à l’abri de l’enfer de la ville. Il doit se morfondre ou se désespérer, ne pouvant que constater que les fils de ses fils ne soient pas encore devenus des « Hommes ».

Ici les photos sont plus belles que la réalité, mais la réalité est à la hauteur de nos rêves, de nos nostalgies, de notre envie d’écrire, nous aussi, notre « Livre de la Jungle » ou « La plus belle histoire du monde ». Rudyard – nous pouvons l’appeler ainsi, nous sommes désormais si proche – s’est, peut-être penché sur ce même bureau de bois sombre où, audacieusement, j’ai osé poser mon livre et une bouteille d’eau! Ou, peut-être s’y est penché Gérard de Nerval venu ici, ayant, au combien dépassé saint Jean d’Acre pour poursuivre son « Voyage en Orient ».

Cette maison est faite pour que l’esprit vagabonde, que le rêve se transcende.

Ne nous en privons pas.