Moïse l’Egyptien

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Le mot « relativité », prononcé par quiconque se pique de sciences, nous dit – à presque tous – quelques choses. Le mot est lâché que déjà nous voyons surgir Albert Einstein. Générale ou restreinte, elle évoque bien plus qu’elle n’inspire. Mais, sans s’aventurer dans les méandres de la physique quantique, force est de constater que, pour le commun des mortels, le « relatif » est universel.

Tout est relatif. Rien ne se suffit à lui-même. L’Histoire n’échappe pas à la règle. D’indénombrables histoires et historiettes constituent les atomes de l’Histoire de l’Humanité. L’Histoire est une science empreinte d’humanité. De subjectivité. Le moindre adjectif fait de l’Histoire, un roman. Le moindre qualificatif, un jugement. L’historien peut-il se faire romancier ou juge ? L’Histoire peut-elle être intéressante pour le commun des mortels sans ces deux dérives ?

Le livre de Jan Assman, « Moïse l’Egyptien », nous ouvre les yeux sur les relativités de l’Histoire. A partir du nom d’un homme dont personne, à ma connaissance, n’a prouvé l’existence, Jan Assman consultent « les images » qu’ont dessinées des hommes depuis des lustres. Il définit son travail comme « une ligne culturelle du souvenir » où se succèdent Akhenaton, Manéthon, Maimonide, John Spencer, Baruch Spinoza, Friedrich Schiller, Sigmund Freud…et d’autres.

Assman ne porte pas – ou très peu – de jugements sur « les histoires concernant Moïse », mais les aligne en lecture synoptique pour une exégèse comparative étayée de peu de faits historiques mais analysé sur le « travail » de la mémoire, de l’incubation, de l’évolution et de la transmission aux seins de récepteurs de cultures et de sensibilités différentes.

Moïse est convoqué au tribunal de l’Histoire, mais chacun des avocats semble défendre un homme différent, façonné à l’aune du temps, des mémoires, des idéologies, des croyances, des intentions de fixation ou de réformation.

Au milieu des années 70, j’avais abordé la « Théorie de la Horde Sauvage » de Freud et ne me souviens pas si la figure de Moïse y affleurait. Ma lecture était, à l’époque, « psychanalytique ». Replacé dans le cadre mosaïque, une nouvelle vision éclaire différemment ce mythe freudien.

Pourquoi donc, au XXIème siècle, s’intéresser à Moïse ?

La lecture de « Moïse l’Egyptien » m’a permis de reconsidérer les jugements que je porte sur mes contemporains. Mon regard sur les attitudes éthiques, morales, philosophique…Plus simplement, la vision que je me faisais de l’attitude des hommes envers les hommes a évolué, a trouvé des explications toutes relatives, certes, mais sensiblement différentes à celles qui, auparavant, formait un fond à ma réflexion. Comme tout œuvre ou analyse, le texte de « Moïse l’Egyptien » n’apporte pas de « vérité-révélée », mais du carburant et un recul certain au moteur de mes analyses.

J’ai parmi mes « contacts », des Juifs-Israéliens et des Palestiniens. Je les respecte les uns comme les autres. J’écoute, je lis les uns et les autres et dois avouer mon impuissance à démêler cet enchevêtrement de nœuds Gordiens. Devons-nous espérer l’épée d’un Alexandre qui soignerait la force par encore plus de force ? Ou une moderne Pénélope qui détisserait, jour après jour, la trame de l’histoire jusqu’au retour d’un hypothétique Ulysse ? Chacun des avocats de Moïse évoqués plus-haut allume pour moi un éclairage nouveau.  Pas la solution.

A cette lecture, chacun trouvera du grain à moudre… L’athée comme le croyant y trouveront arguments pour défendre ou attaquer les forteresses des uns et des autres. L’amateur d’Histoire ou tout un chacun y trouvera matière à « prudence ». Prudence à dire. Prudence à contredire.

Ce qui vaut pour l’Histoire vaut pour le présent. Fi de la prudence et de la vérité. Les réseaux sociaux font de nous des juges impitoyables. Les analyses sont écartées, ignorées. Les préjugés font la loi. Qu’importe la vérité, si l’information conforte mes idées, mes haines. L’incitation à la haine envahit nos médias bien plus efficacement que l’incitation à « faire le bien ». Un témoignage de haine enflera d’un écran à l’autre avec d’autant plus de facilité qu’il s’autoalimente par les peurs et refoulements de tous. La diffusion « du bien, du bon, du beau » nécessite une prise de conscience, une prise de décision, un passage à l’acte. Un simple clic est dérisoire.

Mais cela n’est pas « une autre histoire ». C’est notre devoir du quotidien…

Etienne Lallement – 13 août 2018 –

Jan Assman « Moïse l’Egyptien » – Champs-FlammarionJan Assman « Moïse l’Egyptien » – Champs-Flammarion

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